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Culture

"Un livre de martyrs américains" de Joyce Carol Oates

Pour cette première publication dans cet espace «  culture » de notre site, j'ai choisi de vous présenter "Un livre de martyrs américains" de Joyce Carol Oates, un des écrivains les plus prolifiques de sa génération, de son pays et sans doute même du monde contemporain...
Je vais donc vous parler de ce roman mais auparavant, je voudrais exprimer le petit sentiment d'injustice que je ressens chaque année ( cette année doublement puisque l'Académie a attribué deux prix Nobel de littérature, par rattrapage d'une sombre histoire style me too qui a atteint la noble assemblée suédoise en 2018) : Joyce Carol Oates n'a toujours pas reçu le Nobel !
J'avoue que les bras m'en tombent... Et pourtant, outre sa productivité impressionnante, mais qui certes ne prouve rien, et surtout pas son génie, elle a écrit des chefs-d'oeuvre absolus, que je conseille ici : "Blonde" par exemple, une manière de biographie de Marilyn Monroe, ou encore "Mon cœur mis à nu" pour lecteurs épris de romanesque échevelé ou "Bellefleur", un modèle du genre gothique, qui m'a aidé à accoucher (un chapitre entre chaque contraction, puis dix pages puis une page puis...)
Mais venons en (plutôt que de raconter ma vie) à ce dernier opus que je ne peux mettre dans aucune case, "Un livre de martyrs américains". Les critiques mettent l'accent sur l'anti-héros, membre d'une sorte de secte anti-avortement, dont le crime constitue l'ouverture époustouflante du livre : obéissant à son gourou, il assassine le médecin pratiquant des avortements dans une clinique sans cesse menacée par cette secte. On entre dans l'esprit de ce Luther Dunphy, au prénom éloquent, on voit quels sont ses dilemmes, ses souffrances et on est même amené à le prendre en pitié ; par ailleurs l'autre protagoniste, le docteur Augustus Voorhees, qui sacrifie sa propre vie à sa cause, en aidant les femmes pauvres et démunies, est lui aussi donné à voir de l'intérieur, et sa personnalité solaire n'empêche pas qu'il brise sa famille par ses choix éthiques. Cet aspect est développé à travers Naomi et Dawn, respectivement les filles de Luther et Augustus, dont on pense qu'elles ne sont que personnages secondaires mais qui sont pour moi les vraies héroïnes du roman : elles vont en fait se retrouver, par un renversement virtuose habituel chez J.C. Oates, au centre du livre dont la fin, que je ne veux pas spoiler ici (pardon, divulgâcher), centrée sur ces deux jeunes femmes à la vie brisée par ce crime, m'a arraché des larmes...
Même si en filigrane on comprend de quel côté va le cœur de l'auteur, elle ne laisse jamais transparaître son point de vue de façon manichéenne, préservant l'humanité de chacun des personnages. Pour moi cette histoire terrible, centrée sur l'analyse d'une société américaine assez effrayante, est le dernier chef d'oeuvre de cette grande écrivaine.

Marie-Pierre LORENZI

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